Les révoltes islamiques d’esclaves de Bahia, Brésil
Par
Abu Alfa MUHAMMAD SHAREEF bin Farid
Traduction française par
Alexandre Dubé-Belzile (Muhammad Sikandar)

La résistance, la révolte et une possible transformation sociale sont le résultat d’une prise de conscience par les opprimés de leur identité, de leur « conscience collective » et du fait que cette dernière faisait l’objet d’une attaque de la part des oppresseurs. Jusqu’où ira la collectivité opprimée pour assurer sa survie dépend du degré de persistance de leur cohésion culturelle.
C’est de la connaissance de la culture authentique, de la religion, de son
statut social que découle le désir de résister à l’agression culturelle.
Toutefois, lorsque la conscience historique et la culture d’une collectivité
opprimée sont effacées et éliminées, le désir de résistance en est diminué et souvent
même, disparaît. Certains meneurs afro-américains et organisations aux
États-Unis constituent des exemples de conscience historique complètement
supprimée. Ces derniers décidèrent de ne pas résister à l’agression culturelle
des Euro-américains. Ils s’intégrèrent graduellement pour tenter de changer la
société dans laquelle ils étaient tenus en otage par la désobéissance civile,
d’une manière non violente.
Néanmoins, ce n’était pas la norme. Les historiens soulignent, plutôt
brièvement, que les insurrections armées et violentes constituaient « un
phénomène courant et récurrent » de la vie américaine. Chaque année, entre
1511 et 1864, dans toutes les régions d’Amérique du Nord habitées par des
Africains se déclaraient des révoltes et des insurrections, des appels à la
lutte armée qui visaient à obtenir la liberté et la justice.
Ces révoltes d’esclaves se produisirent à une époque où les Afro-Américains
avaient encore préservé une partie de leur héritage culturel. La mère et la
grand-mère de Nat Turner lui avaient parlé de l’Afrique. Ces récits avaient
mis à l’épreuve l’estime que Nat avait de lui-même, ce qui l’a poussé à la
révolte.
Dans les cas où la conscience historique et culturelle des esclaves avait
été complètement anéantie, ils résistèrent au sein du cadre de références et
dans les termes de leurs oppresseurs. Ce type de résistance peut être qualifié
de résistance secondaire. Les motivations idéologiques de cette lutte sont
subordonnées à des idées qui sont chères aux esclavagistes et aux
colonisateurs. D’une certaine manière, la résistance secondaire devient la
confirmation et la corroboration de « la supériorité inhérente » de la culture
des oppresseurs. C’est pour cette raison que la résistance secondaire a
toujours eu plus de succès à court terme, parce que la classe des « maîtres »
et la « classe coloniale officielle ne pouvait pas désavouer la validité
normative des normes métropolitaines ».
Toutefois, à long terme, la résistance secondaire favorise la classe coloniale,
celle des maîtres, parce que les opprimés se trouvent à avoir des dettes
idéologiques envers leurs oppresseurs, ce qui sert à justifier du coup le
bien-fondé de l’esclave et de la colonisation, parce que la « lumière de la
civilisation » est transmise aux « inférieurs ».
Ensuite, les oppresseurs se détendent et soupirent, pleins de fatuité et se
sentant déchargés de leur responsabilité, jetant un regard bienveillant et
condescendant sur ses anciens sujets, anciens esclaves, qui tentent, d’une
manière maladroite et vaine, d’imiter la culture dominante. Les conditions de
vie déplorables des populations afro-américaines aux États-Unis et la présente
crise politique qui agite toute l’Afrique sont des symptômes de ce phénomène.
D’une part, les moyens de résistance qui reçurent finalement l’approbation
de la culture dominante anglo-américaine sont ceux qui n’avaient rien à voir
avec les idéaux des « pères fondateurs ». D’autre part, les moyens qui furent
marginalisés et rejetés étaient très proches des idéaux de la prétendue
Révolution américaine. Enfin, l’idée non américaine de la non-violence adoptée
par Martin Luther King fut acceptée tandis que l’idée purement américaine de
la résistance militaire adoptée par al-Hajj Malik el-Shabazz fut rejetée.
Un groupe qui a la capacité de définir sa propre idéologie et sa propre
culture est en mesure de pratiquer une résistance primaire. Cette dernière
résulte d’une conscience historique persistante devant un système de croyances
soutenu par un État-nation.
Ce type de révolte ou de résistance est motivé par des idéaux qui sont en
eux-mêmes supérieurs à ceux des oppresseurs. Cette résistance n’est pas
soumise aux termes et au cadre de référence des oppresseurs, mais se définit
plutôt dans ses propres termes. Les oppresseurs ne tolérèrent jamais ce type de
résistance, car elle a pour but d’anéantir les fondations et la structure même
de leur système.
Les idéaux, les coutumes, les traditions et les institutions politiques de
l’oppresseur sont alors vus comme inférieurs et comme devant être éliminés par
la transformation radicale de la société et la renaissance des idéaux et de la
culture qui incitèrent à la révolte les esclaves et tous les colonisés. La
résistance primaire ne peut se produire que lorsque la conscience historique,
le facteur linguistique et le tempérament psychologique sont intacts et
généralisés.
Parmi les exemples historiques de résistance primaire à l’hégémonie
européenne, on retrouve la résistance de l’État unitaire d’Éthiopie contre
l’invasion italienne et l’héroïque résistance de l’armée ashanti contre
l’Empire britannique au XIXe siècle.
Enfin, les Européens subirent des défaites écrasantes aux mains de
différents mouvements islamiques de résistance dans toute l’Afrique. Parmi ces
mouvements de résistance, on dénombre celle de Samory Touré en Guinée, celle
de Muhammad Ahmad al-Mahdi au Soudan, celle d’Abdoul Qaadir al-Jazairi en
Algérie, celle de Sounissiya en Libye, celle de Muhammad ibn Abdallah ibn
Hassan en Somalie et enfin, celle de Sokoto dans le nord du Nigéria.
Chacune de ces révoltes contre l’agression européenne était caractérisée par
une profonde conscience identitaire, une cohésion d’ordre linguistique et un
tempérament psychologique qui lui conféraient une supériorité inhérente sur
l’agresseur européen.
Est-ce que de tels exemples de cohésion culturelle se transmirent jusqu’au «
Nouveau Monde » lors de la traite des esclaves ? Est-ce que des exemples de la
persistance et de la diffusion des traditions africaines et de conscience
historique existaient dans l’hémisphère occidental ? Si c’est le cas, jusqu’à
quel point ? S’agissait-il de la cause première des nombreuses révoltes
d’esclaves qui eurent lieu dans les Caraïbes, les États-Unis et l’Amérique du
Sud ?
Ces questions, parmi d’autres, seront examinées dans cette étude qui tentera d’exposer les faits entourant l’émergence, dans l’hémisphère occidental, de mouvements de résistance primaire caractérisés par une conscience historique, une cohésion linguistique et un tempérament psychologique (établi par des croyances religieuses), en faisant tout particulièrement référence aux révoltes d’esclaves qui ont eu lieu à Bahia, entre 1807 et 1835.

Ce travail de recherche établira que les révoltes d’esclave de Bahia
étaient, en grande partie, de caractère islamique et ne constituaient pas une
simple réaction aux conditions de vie qui caractérisent l’esclavage. La
communauté musulmane de Bahia, les esclaves, les affranchis et tous ceux qui
leur vinrent en aide, éprouvait le désir d’imiter la manière dont les
musulmans avaient réagi à l’agression culturelle en Afrique.
L’ensemble de leurs réactions se divise en deux catégories, dont chacune
d’elle mène inévitablement à l’autonomie : l’hijra (c’est-à-dire la fuite,
l’immigration) et le djihad (la lutte armée).
Ces deux catégories de réactions déterminèrent la réponse des musulmans aux
agressions culturelles depuis les débuts de l’Islam jusqu’à l’émergence des
mouvements djihadistes du XIXe en Afrique occidentale qui eurent une influence
directe sur les évènements de Bahia.
Il serait absurde pour un chercheur d’affirmer que l’existence de la culture
ibérique au Brésil n’est pas une preuve que cette culture fut effectivement
amenée au Brésil. La réfutation de cet argument ne nécessiterait aucune
documentation et aucun argument.
De la même manière, il est impossible de nier le fait que les musulmans du
Soudan, esclaves et affranchis, organisèrent un soulèvement islamique sous
l’influence des évènements qui se produisaient au Soudan central et occidental
entre le XVe et le XIXe siècle.
Ce travail de recherche mettra en évidence le fait que ces révoltes
n’étaient pas seulement une réaction à l’esclavage des Portugais, mais une
continuité des traditions qui existaient des siècles avant que les Européens
arrivent en Afrique.
Seuls les historiens obscurantistes qui manquent de droiture pourraient
soutenir le contraire. Les universitaires et les services de renseignements
occidentaux occultèrent longtemps la vérité sur le rôle de l’Islam et
particulièrement celui de l’Islam africain dans la formation des États de
l’hémisphère occidental.
Cet humble travail cherche à jeter un peu de lumière sur un sujet resté
tabou afin de dresser un portrait authentique de la culture occidentale, ne
prenant pour source non seulement les idées judéo-chrétiennes et
eurocentriques, mais en puisant également les idées les plus percutantes de
justice et de liberté émanant de la persévérance des esclaves musulmans
originaires du Soudan et de leur acharnement pour leur autodétermination.
Les révoltes d’esclaves musulmans de Bahia: Continuité des mouvements djihadistes
du Soudan occidental au XIXe siècle
L’importance de cette étude
I. Introduction:
A. L’importance de la conscience historique
B. Types de résistance
1. Résistance primaire
2. Résistance secondaire
C. L’importance de la perpétuation de la culture dans la résistance primaire
1. Facteurs historiques
2. Facteurs linguistiques
3. Facteurs psychologiques
II. Les Portugais et les bases de l’esclavage à Bahia
A. La logique qui motivait la réduction à l’esclavage des populations
africaines
1. Le sucre et son importance pour l’économie européenne
2. Les besoins en main d’œuvre
3. La disponibilité des esclaves
B. Les origines des esclaves africains
1. Sénégambie
2. Angola
3. Le golfe du Bénin
a. Geges (Ewes)
b. Tapas (Nupes)
c. Ussas (Haoussas)
d. Nagos (Yoroubas)
C. L’ampleur de la traite d’esclaves
D. La destination des esclaves à Bahia
1. La division du travail des esclaves
2. L’esclave des régions urbaine et l’esclave des régions rurales
III. L’Islam comme dénominateur commun des groupes ethniques du Soudan
occidental
A. Le rôle des savants comme héritiers et propagateurs des idéaux islamiques
1. Le savoir ésotérique diffusé parmi les musulmans soudanais
2. Le statut des savants aux yeux des profanes
3. Croyances eschatologiques et millénaristes
4. La fonction du djihad
IV. Tumulte politique dans la société de Bahia au XVIIIe au XIXe siècle:
A. Stratification sociale
1. Les blancs
a. Statut social
b. Population
2. Les affranchis
a. Les créoles
b. Les Africains
3. Les esclaves
a. Statut social
b. Population
V. Les révoltes islamiques d’esclaves entre 1807 et 1809
A. Causes possibles
B. Conséquences
VI. Les révoltes islamiques d’esclaves entre 1814 et 1816:
A. Causes possibles
B. Conséquences
VII. Les révoltes d’esclaves de 1822 à 1830:
A. Le mouvement indépendantiste et ses conséquences sur les révoltes de 1822
B. La révolte de 1826 et le soulèvement Urubu
C. La révolte de 1827-1829
D. La révolte de 1830
VIII. La révolte islamique de 1835, dite la révolte des « Male » :
A. Les théologiens musulmans de Bahia
1. Dandara
2. Sanim
3. Antonio
4. Ahuna
5. Pacifico Licutan
6. Manuel Calafate
7. Silvestre Jose Antonio
B. Commerce entre les musulmans affranchis de Bahia et les musulmans de Illorin
et du Haoussaland
1. Importation de tambours de guerre des Haoussas
C. Coutumes
1. Les tuniques et les turbans
2. Les bagues comme marques d’identification
3. Les coutumes et les pratiques religieuses
D. La révolte
1. Organisation et planification
2. Trahison
3. Le conflit
E. Les suites et la répression
1. Réaction de la part des blancs
2. Les prisonniers
3. Le procès et l’exécution
F. Interprétation des documents rédigés en arabe saisis chez les esclaves
1. Contenu
2. Signification et commentaires tirées des sources traditionnelles
3. Ce que le djihad signifie
X. Synthèse et conclusion :
A. Le désir de gouverner
B. Préoccupations et concepts antédiluviens
C. Comparaison entre la révolte de 1835 et les événements contemporains au
Soudan occidental: une coïncidence?
XI. Bibliographie
XII. Glossaire
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الشيخ محمد
شريف بن فريد القادري
Shaykh Muhammad Shareef bin Farid
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